Entretien #05 : Angie Cotte
Évaluation de projets européens, saltimbanques & dynamique culturelle
Angie Cotte est secrétaire générale du Fonds Fanak, un fond de mobilité pour les artistes et les opérateurs culturels qui travaillent en Europe, dans le monde arabe et plus largement au Moyen Orient. Elle est franco-américaine, et a évolué en France dans le domaine de la coopération culturelle. Elle est également évaluatrice de projets européens Europe Créative.
Lacets : Comment devient-on évaluatrice de projets européens ?
Angie Cotte : Tout simplement en répondant à des appels à candidature. La Commission est une très grosse machine, qui défend des méthodologies très transparentes : elle veille donc au respect du droit et de tout un tas de protocole et de codes éthiques. Ce sont des appels à candidatures très formels, très bien fait, qui sont diffusés sur le site de la Commission européenne.
Que doit-on avoir en tête quand on évalue un projet, comment l’appréhende-t-on ?
Selon moi, il y a 4 ou 5 étapes. D’abord, il y a la question de la neutralité de l’expertise. Lorsque l’on aborde un projet, on doit être neutre, c’est-à-dire essayer d’être aussi objectif que possible. Il faut analyser le projet avec beaucoup d’objectivité. Ensuite, nous devons vérifier que le projet est en phase avec les droits humains - une analyse plus éthique disons. Il y a également la question de la capacité organisationnelle : il faut que les personnes qui portent le projet soient en capacité organisationnelle de mener à bien le projet.
Les autres critères à prendre en compte sont l’analyse de la communication, la stabilité du partenariat, et les résultats attendus sur le plan local. C’est important qu’il y ait un ancrage territorial et un impact local. La dernière chose, c’est la qualité du projet ; il nous faut nous assurer que le projet est en phase avec les objectifs du programme ainsi qu’avec les besoins du terrain et que les gens derrière le projet paraissent être compétents. Je dis « paraissent » car pour évaluer nous avons seulement le dossier de candidature, nous ne connaissons pas les personnes.
L’évaluation nécessite une expertise et une connaissance accrue des priorités et orientations de la Commission européenne. Il faut bien connaitre la manière dont celle-ci fonctionne. Quand j’ai commencé à travailler à la fin des années 1980, il y avait beaucoup de choses à construire au niveau culturel, c’était le début du financement de la culture à l’échelle européenne et j’ai vu évoluer toute cette relation entre la Commission et les opérateurs.
J’ai bien compris quelles étaient les problématiques des opérateurs, et d’où venaient les gens qui travaillaient à la Commission et surtout, à quel point c’était parfois difficile pour eux de comprendre ou d’appréhender le secteur culturel. Parfois, les opérateurs culturels étaient considérés un peu comme des saltimbanques, pas très sérieux, ou en tout cas pas apte à entreprendre. C’était très intéressant de voir comment les deux parties ont appris à se comprendre et à travailler ensemble. Ça a donné de très belles choses par la suite et selon moi c’est ce qui nous permet de comprendre comment fonctionne la Commission.
Quel est le processus d’évaluation d’un projet ?
C’est très bien fait et très technique. Eu égard aux sommes investies, la Commission se doit de fonctionner avec beaucoup de prudence et de transparence. Cette méthodologie de consensus en témoigne. Le processus d’évaluation a été mûrement réfléchi et est aussi très simple pour les experts. Dès lors que l’on dit qu’on est disponible pour être expert, on doit adhérer à un code de conduite qui atteste que nous n’allons pas divulguer les informations liées aux projets. Il y a des sessions d’informations pour les experts pour bien comprendre comment ils doivent traiter les dossiers qu’ils reçoivent. Ensuite, la Commission nous donne les projets qu’on doit évaluer.
Nous recevons des candidatures dans les langues et les disciplines artistiques que l’on maîtrise. Ici, il y a la question du conflit d’intérêt : nous ne pouvons pas évaluer un projet dans lequel nous aurions participé - c’est un préalable à toutes les évaluations. Ensuite, nous avons une grille d’évaluation très spécifique que nous devons remplir. Nous sommes deux évaluateurs pour chacun des projets, et nos évaluations sont elles-mêmes reprises par des experts qualité. Il y a un retour entre nous et l’expert qualité pour être sûr que tout correspond.
Nous devons donner une note et s’il y a une grosse différence entre les deux experts, nous devons nous expliquer et trouver un accord pour une note commune, toujours dans cette volonté de consensus. Nous chargeons tout cela sur les logiciels et ensuite nous apprenons le résultat à leur publication, au même moment que tout le monde.
Quels sont vos liens avec la Commission en tant qu’experte indépendante ?
Je n’ai aucun lien sauf un contrat qui nous unie. Nous avons des sessions d’informations - même si elles ont été un peu chamboulées par la crise du Coronavirus - mais normalement, nous venions à Bruxelles, nos trajets étant pris en charge par la Commission à une certaine hauteur, et on assiste à une session d’information lors de laquelle nous pouvons poser des questions sur la manière d’agir, d’expertiser, d’évaluer. À ce moment nous ne connaissons pas du tout les projets que nous allons évaluer.
Sur quel critère se base la commission pour choisir les experts ?
Nous sommes des experts externes. Dans les critères de candidature, il faut avoir 4 ans minimum d’expérience professionnelle et parler au moins une langue officielle de l’UE (c’est-à-dire l’anglais, le française ou l’allemand). En ce qui concerne les rouages des sélections, je n’en sais pas plus.
L’année dernière, le nouveau programme Europe Creative a été publié pour la période 2021-2027. Que pensez-vous de ce nouveau programme et du nouveau dispositif ?
Je suis très contente que le programme Europe Créative existe. Par exemple, je trouve que les nouvelles approches transectorielles entre média et culture sont vraiment très bien, c’est quelque chose que l’Europe a forgé dans l’esprit des opérateurs culturels de longue date. Cette transversalité est très porteuse d’innovation. Innovation dans le sens d’être en phase avec aujourd’hui, être en phase avec les transformations de la société.
Le budget qui a augmenté est une très bonne nouvelle, et c’est en partie grâce au plaidoyer de Culture Action Europe, dans laquelle j’ai été très active. Ils ont fait un très grand travail pour négocier, pour dialoguer avec la Commission, et créer le programme que l’on connait aujourd’hui. Il y a eu énormément de tractations, d’analyses, d’allers-retours entre les opérateurs culturels et la Commission pour forger ce programme.
Beaucoup d’opérateurs culturels trouvent le programme Europe créative trop lourd, trop compliqué, avec trop de partenariat à monter… C’est dommage parce que je ne pense pas qu’on puisse aller vers un autre système que celui en vigueur, qui serait moins contrôlé que cela, car les institutions ont besoin d’être rassuré sur la bonne utilisation de leur argent. Il y a eu des avancées facilitant l’accès aux fonds Europe Créative pour les petits porteurs de projets, mais pour la Commission, les petits porteurs sont quand même des structures qui ont une certaine stabilité financière. C’est ça le gros enjeu et ça l’a toujours été, il faut avoir la capacité financière d’encaisser les délais de paiement assez conséquent.
Le système est un peu lourd car le paiement ne peut arriver que quand les contrôleurs ont vérifié tous les documents. En même temps, si on se débrouille bien même en tant que petit porteur, on peut s’adosser à une plus grosse structure partenaire, avec les reins plus solides en termes financier. La clé, comme toujours, c’est le partenariat qui doit se forger en amont. En tant que porteur de projet quand on aborde Europe Créative, il faut d’abord aller chercher des partenaires, tenter de convaincre et seulement ensuite, on est prêt à candidater. Même si évidemment, ça ne se passe pas toujours comme cela car certaine fois il faut savoir saisir les opportunités. Europe Créative donne vraiment un sens à l’action culturelle en reconnaissant la culture dans sa diversité. Toutes ces choses sont pour moi essentielles dans un projet culturel et le cadre européen correspond bien à la dynamique culturelle.
Ou trouvez-vous vos informations sur les politiques culturelles, où est ce que vous vous informez ?
Bien sûr, je me renseigne grâce à des sites d’institutions comme Relais Culture Europe, mais surtout, au fil de ces dernières années je me suis abonnée à un grand nombre de newsletters, et c’est de là que je tire le plus grand nombre d’information.