Entretien #07 : Cécile Moroux, Élodie Crouzet
Le dépôt d'une candidature "coopération" dans le cadre d'Europe créative vue par 2 porteuses de projets.
Avec la date de dépôt des projets “coopération” Europe créative au 5 mai, Lacets a souhaité en savoir plus sur la façon dont certaines structures ont appréhendé et vécu cette période intense d’écriture de candidature. Pour ça, Cécile Moroux, coordinatrice du projet We are Europe au sein de l’association Arty Farty, ainsi qu’Élodie Crouzet, coordinatrice de JUMP – European Music Market Accelerator pour MaMA Music & Convention répondent à nos questions.
Lacets : Comment la recherche de partenaires de vos projets s’est-elle construite ?
Cécile Moroux (We are Europe) : Nous avons répondu au call coopération de Europe Créative. Le projet que nous avons écrit réunit dix festivals et une boîte de production audiovisuelle. Après déjà 6 ans de coopération à 8 partenaires, pour ce nouveau volet nous avons décidé de nous lancer dans une « large scale » (grande échelle, ndlr) et de réunir 11 partenaires de 11 pays européens différents.
Le choix de ces partenaires répond à deux enjeux : le premier était de s’inscrire dans une continuité et d’écrire le prochain chapitre avec les organisations fondatrices, en capacité de nous suivre à nouveau et toujours en phase avec le projet.
Un autre élément très important pour ce type de partenariat est l’équilibre dans les régions de l’Europe représentées.
L’autre enjeu était était de pouvoir répondre au mieux à l’objectif de création et de circulation transnationale du call. Pour ça, l’idée était de mettre autour de la table des organisations qui se connaissent (soit parce qu’elles ont déjà travaillé ensemble soit parce qu’elles se connaissent de réputation) et se respectent. Il fallait trouver un juste équilibre entre des structures qui partagent un certain nombre de points communs (esthétiques, valeurs, motivations), mais qui puissent être complémentaires et avoir chacun sa spécificité. C’est pourquoi le consortium réunit des festivals de taille très différentes, certains sont tournés vers les arts visuels et les nouvelles technologies, d’autres vers le live et les scènes underground, etc. Un autre élément très important pour ce type de partenariat est l’équilibre dans les régions de l’Europe représentées.
Élodie Crouzet (JUMP) : Nous avons commencé la recherche de partenaires en juin 2021, en même temps que nous découvrions le nouveau programme Europe créative. Trois de nos partenaires actuels ont souhaité continuer avec nous : CTL (Portugal), M.I.H. (Italie), M.E.S.O. (Grèce). Le Brexit a eu raison de notre partenaire britannique, et notre partenaire tchèque a souhaité se reconcentrer sur son activité.
Nous avons dressé des profils-types de partenaires que nous aimerions avoir dans le consortium : complexe équation entre les nouvelles conditions de financement, nos envies, les besoins et points d’amélioration possibles par rapport à notre expérience en cours.
J’ai commencé les prospections début juillet. La plupart des partenaires contactés nous a dit oui de suite... D’autres ont dit oui, puis non… Un vrai ascenseur émotionnel. Notre compteur s’est stabilisé à dix partenaires début septembre. Les trois derniers nous ont rejoint entre février et mars, après un énième revirement stratégique. Et on a déposé à treize !
Lacets : Initialement, la date de dépôt des candidatures était fixé à début mars. Avec la guerre en Ukraine, cette date a été repoussé au 5 mai. Quel impact a eu cet allongement de la période de dépôt sur l’écriture de votre projet ?
Cécile Moroux : Évidemment, la deadline influe sur la productivité, et il est difficile de savoir précisément quelle aurait été notre capacité (ou non) à faire le même job avec 35 jours de moins !
Mais sincèrement je ne sais pas comment nous aurions pu rendre une copie satisfaisante en deux mois. L’allongement nous a permis de produire quelque chose de vraiment réfléchi et abouti, de réaliser toute la médiation et les aménagements nécessaires avec les partenaires. Le timing était le même pour tout le monde : qu’il s’agisse des projets réunissant trois ou dix partenaires. Seulement, plus il y a d’organisations impliquées, plus cela demande de travailler l’ingénierie du projet, le budget, sa répartition, de récolter les informations auprès de toutes les parties prenantes, etc.
Je pense que très peu de structures culturelles peuvent se permettre de se dédier à temps plein sur la réponse à ces appels à projets. (Cécile Moroux, We are Europe)
Bien sûr, nous avions déjà en tête une ébauche de ce que nous voulions faire avant le lancement du call. Néanmoins, c’est un travail conséquent, et on est tous par ailleurs très pris par nos activités courantes. Je pense que très peu de structures culturelles peuvent se permettre de se dédier à temps plein sur la réponse à ces appels à projets.
Élodie Crouzet (JUMP) : Au début on s’est dit : super, en plus d’être forte politiquement, la décision nous fait gagner 5 semaines. Puis on a très vite déchanté. Les 4 partenaires qui continuent JUMP ont été directement impactés. Il y aura une période creuse, sans JUMP, sans co-financement européen, entre les deux projets (si projet 2 il y a).
C’est toute notre stratégie à l’œuvre qu’il a fallu revoir (Élodie Crouzet, JUMP)
Le report nous a aussi obligé à réinventer notre proposition : intégrer la gestion des risques liés à la guerre en Ukraine, redéfinir des rôles entre les partenaires, réécrire notre programme d’activités dans la mesure où nous sommes majoritairement des festivals dont les dates ne sont évidemment pas déplaçables, etc. En fait, c’est toute notre stratégie à l’œuvre qu’il a fallu revoir, et donc, consulter un à un les treize partenaires pour avis, valider avec eux les changements avant de figer quelque chose et de l’écrire noir sur blanc.
Lacets : Comment ce dépôt s'intègre dans la stratégie de vos structures, et comment avez-vous adapté les orientations de la structure aux nouveaux calls ?
Cécile Moroux (We are Europe) : Arty Farty est une association qui aime créer des synergies, explorer et innover dans les modèles des structures culturelles. De plus, elle a une vocation et une action européenne. Le projet tel qu’on l’a écrit va impliquer des niveaux de collaboration entre les partenaires très importants. Il va aussi nous permettre de favoriser la création originale, et même de proposer un nouveau modèle de diffusion à échelle européenne, encore jamais porté par des festivals de musiques électroniques !
De plus, le call intègre des orientations qui doivent concerner tout le monde, et pas seulement Arty Farty : environnement, résilience, inclusion, diversité, migration, juste rémunération des artistes, etc. Aujourd’hui doit également être intégrée la question de la guerre en Europe, et de tout ce qui en découle pour les Ukrainien·nes ou toute population civile touchée par le conflit.
Si notre ADN est de toujours nous remettre en question et d’être proactifs sur les sujets de société, il est certain que nous pouvons encore faire mieux. L’idée est de porter des engagements collectivement, à onze, pour avoir encore plus d’impact.
Élodie Crouzet (JUMP) : Nous nous sommes fait accompagner par deux consultantes sur la préparation de notre candidature. Lorsqu’on a décrypté le Call ensemble, on s’est assez vite rendu compet que le nouveau Programme Europe créative avait finalement peu évolué par rapport au précédent. Les objectifs et les priorités sont restés sensiblement les mêmes.
Le plus grand changement est l’intégration des questions d’inclusion et d’environnement comme des conditions sine qua non de financement, là où, auparavant, elles étaient une plus-value pour les projets qui décidaient de les inclure dans leur proposition. Nous avons fait en sorte de leur donner une place substantielle dans le nouveau projet. On verra si le pari est tenu !
Merci à Cécile et Élodie pour leurs réponses.