Entretien #04 : Antoine Pecqueur
Nouveau budget pour Europe Créative vu par Antoine Pecqueur, les actus du mois et la compétence culturelle européenne.
Collaborateur de France Musique, Mediapart, Alternatives Économiques, directeur de la rédaction de La Lettre du musicien, Antoine Pecqueur est artiste-musicien et journaliste. Il s'intéresse particulièrement aux politiques culturelles européennes auxquelles il a consacré de nombreux articles. Il a récemment publié l'Atlas de la culture où il démontre comment la culture est devenue un enjeu géopolitique majeur.
Lacets : En tant que journaliste, comment en es-tu arrivé à t’intéresser aux questions des politiques culturelles européennes - sujet par ailleurs peu couvert dans le champ médiatique français ?
Antoine Pecqueur : C'est vrai qu'il y a un réel déficit médiatique sur cette question. Le Monde avait tenté d'y remédier avec ses “pages Europe", mais c’était assez compliqué. En ce qui me concerne, c’est très personnel ; je suis né à Strasbourg, une ville européenne par ses institutions et sa dimension internationale. C’est quelque chose qui m’a toujours marqué.
Au quotidien, on côtoie des Belges, des Suisses, on peut traverser le Rhin pour être en Allemagne. En tant que journaliste, j’ai très vite eu envie de développer le reportage à l'international, c'est donc ce que j'ai fait en partant en tournée comme musicien un peu partout en Europe. Je conciliais un peu mes deux casquettes. Et puis, ayant beaucoup voyagé, j'avais envie de comprendre les mécanismes européens. J'ai fait un article il y a quelques années pour la Revue du Crieur qui est éditée par Mediapart et les éditions La découverte sur la politique culturelle européenne, et c’est là que je me suis dit qu’il y avait vraiment beaucoup de choses à dire sur le sujet.
On entre dans un nouveau cycle pour le programme Europe créative sur la période 2021-2027, avec de nouveaux appels à projets et de nouvelles lignes directrices. Quels enseignements as-tu pu en tirer ? Qu’est-ce qui évolue selon toi ?
Déjà je pense qu’il faut se méfier de l’annonce de l’augmentation du budget qu’on entend un peu partout (qui serait de plus de 50%, ndlr). On s’en réjouit beaucoup, mais si on regarde dans le détail, il faut relativiser ce chiffre, tout simplement parce qu’il y a eu par ailleurs un vaste plan de relance pour l’Europe, dans lequel la culture n’était pas très représentée, car ce n’est pas une compétence obligatoire au niveau de l’Union européenne. Si au budget de l’Union on ajoute le montant du plan de relance, on s'aperçoit que le pourcentage est exactement le même que sur l’exercice budgétaire précédent (soit 0,14% alloué à Europe créative sur le budget global de l'UE).
On pourrait presque dire que c'est un maquillage budgétaire que d’annoncer une telle augmentation... Alors, effectivement, c'est sûr qu'il y a des moyens supplémentaires, et donc une plus grande opportunités pour les projets de se faire financer. Par contre, on aurait pu se dire que c'était le moment propice pour interroger le rôle d’Europe créative. Mais on voit que c'est statu quo, la répartition budgétaire entre les champs et les disciplines est toujours peu ou prou la même, notamment avec un cinéma prépondérant budgétairement parlant.
Grosso modo, on garde les mêmes et on recommence, avec toujours une forme de justification économique de la culture. Je suis le premier à défendre la prise en compte de cette question économique dans le champ des arts et de la culture, par contre, la justification économique ne doit pas être une finalité, ce n'est pas le but premier de la culture. C’est une dérive d’une Union européenne qui s'est fondée sur un modèle libéral - voire ultra-libéral.
Même si l’augmentation du budget d’Europe créative est relative, il y a des motifs de réjouissance, dans la mesure où davantage d’attention est consacrée aux questions sociales, à la place des égalités femmes-hommes, au développement durable.
Une fois ce constat fait, il est bon de rappeler que ce programme n’est qu’une partie de l’argent que l’Europe injecte dans la culture : il y a aussi les fonds structurels qui disposent de sommes importantes permettant de financer la culture. Les fonds structurels ont augmenté de manière significative dans les plans de relance, et pas uniquement proportionnellement au budget de l'Europe. C’est très intéressant, et il faudrait faire un travail poussé sur la part des fonds structurels qui finance le champ culturel, notamment dans les pays en difficulté économique à l’Est de l’Europe. Je pense qu'il y a encore un grand champ d’étude pour voir où va exactement cet argent, à quels types d’infrastructures et surtout comment ces équipements se développent par la suite, car ils peuvent aussi devenir des coquilles vides notamment dans les pays un peu eurosceptique du groupe de Visegrad.
Qu’est ce que les nouveaux programmes et leurs nouvelles priorités disent de la position politique et idéologique de l’Union européenne ?
Le message européen, à travers le plan de relance et au-delà, est évidemment axé sur le développement du numérique, sur l’écologie, qui est aussi évidemment une priorité. J'en profite pour appeler les acteurs culturels à se mobiliser et à ne pas jouer la carte de l’exception culturelle, par exemple pour la mobilité des artistes. Le fait même d'être un artiste servirait à justifier le peu d'attention porté aux questions d’empreinte carbone, notamment sur les trajets. Je trouve ça un petit peu facile comme réponse, mettre toujours les gens de la culture en dehors, ou au-dessus de ce genre de règles.
Le secteur culturel doit prendre à bras le corps ces questions-là. L’Europe tente d’être incitative et c'est une bonne chose. Maintenant, il va falloir être vigilant à ce que ce ne soit pas juste des belles annonces, pas seulement des éléments de langage qui incitent les porteurs de projets à insérer ces enjeux d'une manière vague et que, finalement, le projet reste le même : ce serait dommage. Il faudrait que cela permette de changer de paradigme, que ça interpelle le secteur culturel. Repensons la mobilité : moi par exemple en tant qu’artiste, quand on me propose de prendre l’avion en Europe je prends le train. Pour moi, là-dessus, il faut être drastique. C'est-à-dire ; pas d’aide d’Europe créative si des artistes font Paris-Berlin en avion par exemple. Tant qu'on ne sera pas coercitif là-dessus, et que ça restera des déclarations d’intention, ça ne marchera pas.
Les petites structures associatives et grosses institutions ne sont pas outillées de la même manière pour répondre à ces appels à projets de la Commission européenne. Quelle est la différence d’accès et comment l’Union européenne essaie de remédier à cela ?
Le vrai problème des fonds européens c’est la complexité des dossiers. Aujourd’hui, il y a une volonté de simplifier la charge administrative, parce que c’est presque indispensable désormais pour une structure d’embaucher quelqu’un spécifiquement pour gérer les projets européen. Pour une petite structure c’est quasi impossible. Pour autant, il faut faire attention à la simplification, car il y a un risque de corruption des acteurs culturels. Face à ce risque, que l’on a pu observer en Bulgarie par exemple - mais pas que - il faut aussi que les dossiers soient très solides et très précis pour éviter tout risque de corruption.
Dans le nouveau programme Europe créative, il y a des simplifications d’accès pour les petites structures, d’une part sur le taux plus élevé de co-financement de la part de l’Union européenne, ainsi qu’une avance de fond plus importante en début de projet. Cependant, d’un point de vue administratif, le travail de montage et de gestion de projets européens reste très lourd. Est-ce que des simplifications sont à l’œuvre de ce côté-là ?
Je pense que l’Union européenne n’est elle-même pas au fait de la complexité administrative. Le directeur de Relais Culture Europe (bureau national d'Europe Créative, ndlr), Pascal Brunet disait que sur cet aspect particulier, le nouveau programme allait dans le bon sens, mais que derrière l’intention, il fallait attendre la réalisation. C’est une intention très louable mais on attend de voir dès septembre si la simplification aura vraiment lieu. Toutefois, cette lourdeur-là garantit aussi d’éviter une certaine corruption.
D’autre part, il faudrait plus de transparence : il y a un manque de transparence terrible sur la prise de décision et sur le choix des projets. On voit avec qui les députés parlementaires déjeunent, ce qui permet d’imaginer l’impact des lobbys par exemple. Mais en termes de processus de sélection des projets culturels, on ne sait pas grand-chose. À l’époque où j’ai fait un papier là-dessus, j’avais demandé à avoir accès à ces documents pour comprendre qui décide, qui sélectionne, qui est chargé de ses dossiers là, mais c’était silence radio, je n’ai pas réussi à avoir ces informations.
De ton point de vue de journaliste et de ton travail au quotidien, quels sont les retours et les besoins des acteurs de terrain ?
De mon point de vue, si vraiment on veut penser une Europe culturelle, il faut repenser la compétence même de la culture au sein de l’UE. Tant que ce sera une compétence aussi faible que ce qu’elle est aujourd’hui, ce sera compliqué d’harmoniser une réelle politique culturelle. Même s’il y a des hausses - aussi relatives soient elles - de budget, il faut réfléchir plus en profondeur.
En même temps, il y a une occasion historique avec le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, car c’est un pays qui freinait beaucoup les choses dans la mesure où leur approche de la culture est très différente de celle de l’UE, car liée à un système économique autonome et créateur de profit. Alors aussi triste que soit le Brexit pour les artistes, les demandes de visa etc., il peut être un atout pour repenser et construire une politique culturelle communautaire.
Nous avons eu l’exemple avec Jean Noël Tronc, qui a était aux manettes sur la directive de droit d’auteur, processus qu’il explique dans son livre Et si on recommençait par la culture publié aux éditions du Seuil. Il a montré que l’Europe pouvait parler d’une seule voix en matière culturelle.
Le Traité de Maastricht acte la culture comme étant une compétence de l’Union européenne mais elle reste seulement une compétence d’appui. En allant plus loin dans cette compétence, il y a un espoir de renforcer la politique culturelle en impulsant une vraie vision qui pourrait être d’ailleurs un frein au populisme. Tant que la culture aura cette compétence très limitée, on va pouvoir faire vivre les économies culturelles en soutenant la production de film mais cela sera difficile de mettre en place une vraie vision.
Cela permettrait notamment de rattraper ce petit retard qu’a l’UE ; parce que mettre l’accent sur l’écologie et le digital en 2021, on peut quand même se demander si c’est une blague. C’est là ou l’on se doit de toujours garder un esprit critique. C’est très facile d’utiliser la culture pour redorer l’image de l’Europe. C’est aussi pour cette raison que de nombreux groupes privés vont investir dans la culture : Bruxelles suit la même logique et à cette intention là aussi. La commission utilise des éléments de langage et la communication. Il faut faire attention à l’utilisation d’Europe créative comme une marque, parce que ça reste très marketé. Le mot culture n'apparaît même pas dans le titre du dispositif dédié à l’art et la culture. Il faut être vigilant pour ne pas que cette novlangue nous éloigne du fond de ce dispositif.
As-tu des conseils pour s’informer sur les questions culturelles européennes ?
S’informer c’est primordial, et le mieux c’est d’aller à la source. Quand on mange des tomates, on aime connaître le producteur, c'est pareil pour l’information. Mieux vaut aller voir les indépendants plutôt que les journaux appartenant à des grands groupes. Il y a aussi un essor fantastique des médias indépendants. Et puis ne pas oublier d’aller voter aux élections européennes !